J’ai eu le plaisir d’intervenir avec le Dr Éric HERMOUET – chirurgien gynécologue du Centre Endométriose Vendée Atlantique – lors du congrès RESENDO 2021. Nous avions conjointement choisi d’aborder le sujet de la prise en charge thérapeutique des adolescentes dysménorrhéiques à travers le prisme des émotions. Vous trouverez le contenu de cette intervention ci-dessous.
Les enjeux de l’endométriose chez la patiente adolescente
Être porteuse d’une affection chronique à l’adolescence représente un véritable défi pour les jeunes-femmes atteintes d’endométriose car la maladie interfère avec les changements de l’adolescence. Ainsi :
- À la pudeur et au besoin d’intimité et de secret s’oppose la nécessité de dire et exposer sa vulnérabilité à l’entourage et aux soignants.
- Aux rêves d’avenir se mêlent les interrogations, les craintes, l’absentéisme et les limites imposées par la maladie.
- À l’envie d’émancipation et d’autonomie s’oppose la dépendance aux éducateurs, au corps médical, et l’obligation à l’observance thérapeutique.
- Au défi de l’acceptation de son image s’ajoutent les examens, les atteintes à l’intégrité corporelle liées à la maladie et les éventuels effets secondaires des traitements.
- À la construction de l’identité d’adulte se mêle le deuil d’une vie de femme ‘normale’ et l’étiquette de la maladie.
- Au besoin de se positionner dans le groupe s’oppose la différence par rapport aux pairs et la solitude dans son vécu.
- À la maturation sexuelle et la découverte de l’intimité partagée se mêlent la douleur, l’inconfort lié aux symptômes de l’endométriose et la peur du rejet.
- À la maturation du cerveau émotionnel et l’impulsivité de l’adolescence s’ajoutent l’hypersensibilité et l’hyperémotivité liée à la maladie et la douleur chronique.
- Etc.
À cette période de vulnérabilité qu’est la transition de l’enfance à l’âge adulte s’ajoute donc une dimension médicale susceptible d’impacter le quotidien des jeunes patientes, la vision qu’elles ont d’elles-mêmes, de leur identité, leur autonomie, leur corps et leur avenir.
Le diagnostic d’endométriose intervient également – souvent – après des années d’errance médicale durant lesquelles les patientes ont pu entendre qu’elles étaient douillettes, que leur douleur était normale ou encore que tout cela était dans leur tête ; à la souffrance peut dont s’ajouter une certaine méfiance, voire de la défiance à l’égard du corps médical.
Pour toutes ces raisons, le psychologique fait partie intégrante de la prise en charge de la maladie.
La réaction émotionnelle face au diagnostic
Face à une mauvaise nouvelle, le psychisme ne choisit pas sa réaction : il se protège. Ainsi, la réaction de chaque patiente à l’annonce du diagnostic est subjective et dépend de son histoire, sa personnalité, ses croyances, ses ressources… mais aussi des conséquences de la maladie pour elle : douleur, infertilité, perte d’autonomie, isolement, regard de l’autre, etc.
Pour la patiente, le diagnostic peut être :
- Un choc, une surprise qui vient changer de façon radicale et négative l’idée qu’elle se fait de son identité, ses capacités et son avenir.
- Un soulagement, une libération qui vient mettre des mots sur la souffrance vécue et ouvre des perspectives de prise en charge.
Passé le moment de l’annonce, la patiente peut vivre une succession d’émotions aussi diverses que perturbantes. Ces émotions ont chacune un rôle à jouer dans le parcours de la patiente. En effet, quelle que soit leur manifestation, les émotions servent un objectif : la survie.
Les émotions sont un mode de communication du cerveau ; de façon simplifiée :
- Les émotions agréables signifient que tout va bien : les besoins sont satisfaits et les sensations corporelles sont plaisantes et invitent au statu quo.
- Les émotions désagréables indiquent un besoin inassouvi : une adaptation ou un changement est nécessaire et les sensations vécues poussent à l’action.
- L’intensité d’une émotion traduit le degré d’importance du message.
Les émotions – même désagréables – guident donc vers ce qui est bon pour soi ; c’est une boussole interne. Voici quelques exemples d’émotions et les besoins des patientes qu’elles traduisent :
L’importance de l’écoute du médecin
Face à une émotion négative, le réflexe naturel est généralement celui de la maîtrise ou de la fuite. Pourtant, les émotions ne peuvent ni se contrôler, ni s’éviter : elles se vivent. Il est ainsi inutile et contreproductif de lutter contre elles ou de les ignorer. Ceci pour plusieurs raisons :
- Sur le plan biologique, l’amygdale s’active en présence d’une émotion désagréable. Quand elle est aux commandes, la gestion des émotions se fait de façon instinctive : la personne est en mode survie. Le fait de conscientiser et nommer les émotions active le cortex préfrontal, i.e. la partie du cerveau responsable de la réflexion analytique, de la communication et du contrôle émotionnel. Activer le cortex préfrontal permet de réduire l’impact de l’amygdale : la personne redevient alors capable de raisonner. Autrement dit, une patiente qui vit une émotion forte doit préalablement évacuer cette émotion pour devenir réceptive au discours médical.
- Les émotions désagréables ne disparaissent qu’une fois les besoins satisfaits ; tant que son message n’est pas reçu, le cerveau reproduit et intensifie l’émotion. Une émotion ignorée ou refoulée provoquera donc un effet cocotte-minute (passages à l’acte, impulsivité…) ou deviendra une habitude (état dépressif, colérique).
- Ce qui ne s’exprime pas s’imprime. Les émotions provoquent des bouleversements physiologiques mesurables (sécrétions hormonales, rythme cardiaque, température, respiration…) ; ignorer une émotion n’empêche pas ces bouleversements et, au contraire, les nourrit puisque l’émotion se répète. Certaines émotions – comme le stress, l’anxiété ou la colère – provoquent une réaction inflammatoire du corps et augmentent la douleur perçue par la patiente. Une répétition régulière de ces émotions augmente donc à terme les symptômes et l’inconfort lié à l’endométriose.
- L’observance thérapeutique dépend de l’adéquation entre le traitement et les besoins de la patiente. Or, l’endométriose et l’adolescence recouvrent parfois des enjeux antagonistes ! La maladie n’est qu’une facette de la vie des malades. Ainsi, pour qu’une patiente s’approprie son parcours de santé et accepte les conséquences de la maladie, le soignant doit auparavant accéder à sa réalité, ses motivations, ses croyances… Par exemple, une adolescente craignant de prendre la pilule par peur de grossir ou de “s’empoisonner” manquera de rigueur ou vivra un effet nocebo avec ce traitement, si cette peur n’a pas été appréhendée par le médecin prescripteur.
Il semble donc difficile d’accompagner une maladie chronique telle que l’endométriose sans prendre en considération la dimension émotionnelle des jeunes patientes.
Quelques solutions
Voici quelques propositions pour accompagner les patientes adolescentes dans le vécu de leurs émotions en lien avec l’endométriose :
- Écouter : dissocier la parole de la patiente de celle de ses éducateurs, lui montrer qu’elle compte, l’inviter à parler, accompagner sa réflexion et son vécu, l’aider à nommer les choses. Vivre l’émotion, c’est lui permettre de s’apaiser plus rapidement.
- Valider l’émotion : rassurer la patiente sur le fait qu’une émotion forte est normale et qu’elle ne définit ni son identité, ni sa capacité à faire face ; elle signifie simplement que quelque chose d’important pour elle est en train de se jouer.
- Susciter et anticiper les questions difficiles à poser : le silence ne signifie ni approbation, ni absence d’interrogation. Il peut être difficile pour une adolescente de poser ses questions ; les anticiper et fournir des explications claires, honnêtes, transparentes permet à la patiente de s’approprier la maladie, s’autonomiser et agir sur son quotidien.
- Identifier les besoins : les émotions désagréables traduisent des besoins. Quelles actions peuvent-être entreprises pour répondre à ces besoins ? La prise en charge proposée est-elle adaptée aux enjeux et aux préoccupations de la patiente ?
- Assurer une guidance : soutenir, encourager, valoriser le positif et ce qui fonctionne, donner des perspectives d’avenir, proposer des ressources concrètes (sport, alimentation, professionnels…).
- Rappeler à la patiente de vivre des émotions positives : les émotions désagréables bouleversent le corps, et les émotions agréables le font aussi. Il est facile d’oublier le plaisir, le rire, l’expérience, l’excitation, l’action… quand on souffre, pourtant les émotions positives ont un effet apaisant voire euphorisant. Si le cerveau peut accentuer la perception de la douleur, il peut aussi l’anesthésier !
Conclusion
L’annonce d’un diagnostic d’endométriose est susceptible de provoquer de nombreuses émotions chez la jeune-femme qui le reçoit, et ces émotions sont susceptibles d’impacter la qualité de la prise en charge proposée.
L’adolescence comporte également des enjeux spécifiques qui méritent d’être considérés. Ainsi, une meilleure écoute des émotions provoquées par la maladie, une approche globale de la patiente, une prescription adaptée et une invitation bienveillante à prendre soin de soi sont des pistes à explorer pour permettre aux adolescentes de s’approprier et développer de la résilience face à l’endométriose.